A THOUGHT COMING FROM THE FUTURE _ exposition Atelier ML / art-of-life, 11. 2025, Paris

Après Panspermia, exposition inspirée par la théorie selon laquelle la vie sur Terre aurait une origine extraterrestre, Milosh Luczynski poursuit son exploration du vivant et de ses dynamiques profondes. À travers Protocoles Évolutionnaires et Windows to Eden, il s’intéresse aux processus d’évolution, à l’intelligence adaptationnelle du vivant et à sa capacité à se transformer en réponse à l’environnement. À l’heure où l’attention se tourne vers l’intelligence artificielle, l’artiste met en lumière une autre forme d’intelligence : celle du vivant, rapide et réactive, intuitive et sensible. Il donne à voir une entité en perpétuel mouvement, un organisme global évoquant Solaris, la planète consciente du roman de science-fiction éponyme de l’auteur de science-fiction polonais Stanislaw Lem.
Milosh Luczynski utilise des prises de vues à la caméra 360° comme matière première pour ses oeuvres. Après de nombreuses transformations, elles sont fragmentées et tissées entre elles pour former de nouveaux paysages fabriqués dans un travail à quatre mains qui réunit la main de l’artiste et celle de la machine. Ces images composées de samples visuels fonctionnent comme une transposition picturale des performances vidéo de l’artiste, où les variations et les répétitions déployées frénétiquement au fil des toiles génèrent une transe où l’intellect cède au sensoriel. Incorporant dans son processus créatif les nouvelles technologies sans perdre son sens critique vis-à-vis de celles-ci, Milosh Luczynski se rapproche d’une démarche transhumaniste, appartenant au post-humanisme. Son oeuvre devient une exploration de l’infini et de l’atemporalité, un continuum à la fois numérique et organique, artificiel et vivant.
Les paysages de la série Protocoles Évolutionnaires semblent prendre vie et vouloir se propager hors des limites du tableau dans des mouvements sinueux, cherchant à la manière d’une plante grimpante le chemin le plus favorable à sa croissance. Par la complexité de leurs compositions, qui s’affranchissent volontairement de toutes les règles de composition traditionnelles, ils nous incitent à abandonner notre pensée rationnelle pour nous concentrer sur l’expérience de perception et sur nos sens. Nous sommes encouragés à nous perdre dans les lignes enchevêtrées composant les différents éléments de chaque tableau, figuratifs ou abstraits, dans une promenade visuelle où le but n’est plus une compréhension globale de la scène, mais une découverte progressive de chaque élément. L’artiste nous invite à nous immerger dans cet environnement et non à le regarder comme un paysage mis à distance par l’intellect.
Milosh Luczynski s’inspire ici des écrits de l’anthropologue Philippe Descola. Celui-ci définit l’ontologie naturaliste, propre à nos sociétés occidentales : une vision du monde basée sur la pensée que l’être humain, par sa rationalité, se différencie du reste du vivant. Cette conception légitimerait donc la domination que nous exerçons sur les autres formes du vivant et contribue ainsi aux crises environnementales actuelles, renforçant l’idée que celles-ci n’affecteraient que la nature et non l’humanité elle-même. Convoquant ce contexte, l’artiste nous invite à remettre en question cette ontologie et propose une vision où nature et humanité ne seraient plus des opposés, mais des éléments interdépendants d’une même réalité.
Avec Windows to Eden, Milosh Luczynski ancre ces paysages fantasmés dans le réel. La fenêtre fonctionne d’une part comme élément du quotidien qui donne une réalité aux paysages, mais aussi comme cadre qui provoque une tension avec la notion d’infini inhérente à ses oeuvres. Mais elle nous invite justement à pousser ce cadre, à regarder derrière cette fenêtre, à l’ouvrir mentalement pour se plonger dans le vivant. La fenêtre souligne une mise à distance à la fois physique et intellectuelle ; elle matérialise notre façon cartésienne d’appréhender le monde et notre ontologie par laquelle nous considérons ce paysage comme extérieur à nous. L’artiste nous fait comprendre que ce mode de pensée fonctionne comme une barrière qui nous empêche de nous connecter au vivant et d’interrompre sa destruction en cours.
Une mise en parallèle s’installe entre notre monde et celui qui nous est donné à voir par l’artiste. Créés à partir de prises de vues réalisées dans la forêt australienne, ces environnements luxuriants fonctionnent comme une réalité augmentée de notre monde. Mais placés derrière une fenêtre, ceux-ci nous sont inaccessibles. Ce sont des Eden, des paradis perdus dont nous ne pouvons que contempler la perte inévitable, précisément provoquée par ce mode de pensée. En nous donnant à voir notre cadre de pensée, Milosh Luczynski nous pousse à vouloir nous en affranchir.
ALICE LETEURTRE
série “PROTOCOLES EVOLUTIONNAIRES”, stylos-bille à encre pigmentaire bio-gel sur papier aquarelle, 56 × 76 cm















