“CloudCity”, Galerie Cyril Guernieri, Paris, 06 – 30.04.2023 / 11.05- 22.07 Balcon de l’Alcazar, Paris

CloudCity

exposition 6- 30 04 2023, Galerie Cyril Guernieri, 29 rue Mazarine, 75006 Paris

Les lignes, dans les villes les plus géométriques, parviennent à donner une perspective de plus (et très claire) de profondeur. C’est comme si l’on pouvait entrer dans les différents plans de la ville par étapes ; pénéter progressivement dans leurs différentes couches. Cependant, si nous y entrons, nous ne pénétrons pas dans la ville elle-même (à travers ses rues, sa circulation…) mais dans une sorte d’espace abstrait de la ville. Les marches larges et généreuses qui s’offrent en premier plan, qui se déploient devant nous comme si elles nous exhortaient à y accéder (première et unique voie d’accès) font du tableau une invitation à s’enfoncer dans une sorte de non-lieu. Ne s’agirait-il pas d’une invitation à explorer la ville imaginée, la ville à nous, au spectateur? De plus, bien que les lignes qui paraissent des marches nous invitent à accéder à l’intérieur du tableau, nous tombons soudain sur d’autres lignes qui suggèrent le mouvement inverse : elles sortent en avant, poussées vers nous. On dirait qu’elles voudraient nous rappeler que le sens secret que nous voulons trouver dans la ville dessinée se trouve, en réalité, dans nous-mêmes. Entrer dans le tableau requiert, en effet, de faire le mouvement contraire : une réflexion, un retour à notre conscience, ce qui nous permettra de pénétrer dans la ville avec notre imaginaire.
Très beau le tableau de la ville qui semble suspendue dans les airs, articulée par les lignes de filaments qui l’accrochent. Contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas le ciel qui soutient la ville, mais les montagnes. Les montagnes semblent traverser la ville avec le poids de leur entité et de leur magnétisme, en veillant sur elle. Dans ce même tableau, les lignes qui articulent les différentes parties de la ville se rejoignent au bout du tableau comme s’il s’agissait de fils soutenant le corps d’une marionnette qui lui insufflaient de l’esprit. Cela nous fait réfléchir à la complémentarité entre les différentes parties de la ville (et, métaphoriquement, entre les différents plans de la société), facteur qui structure, équilibre et forme un tout cohérent. Les lignes sont essentielles pour comprendre le caractère de chaque ville, régies par leur propre dynamique, avec leurs propres noyaux d’énergie et de rayonnement. Elles leur donnent non seulement leur propre texture, mais aussi un centre particulier d’équilibre et d’appui, qui varie dans chaque cas.
Les éléments naturels sont parfaitement intégrés et s’accordent avec le type de ligne avec laquelle l’artiste choisit de définir et de traverser chacune de ses villes. La ligne droite pour l’eau de la rivière et son reflet dans la ville américaine, engendrée tout à fait par la main de l’homme ; la ligne filamentée pour ouvrir un nuage au milieu du ciel d’une autre ville (et créer par-là un silence, un dénuement soudain) ou pour dessiner le relief organique et aléatoire des arbres et des montagnes. Le filament, en plus de donner une texture onirique aux éléments, a la capacité de créer, de manière très claire, la sensation de bruit et de silence dans les différents espaces d’une ville. Dans les villes de Milosh, notre vision, redimensionnée par la complexité visuelle des tableaux, invite d’autres sens à s’entrêmeler avec elle, à danser ensemble:  elles ont des qualités auditives, haptiques. On peut les écouter, les toucher du bout des yeux. Elles dynamisent notre imaginaire et nous exhortent à retrouver aussi, dans nous mêmes, tous leurs reliefs, leur épaisseur, leur profondeur, leur enchevêtrement nécessaire, leurs points d’appui.   
Cesca Castellvi

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The CloudCity of Milosh Luczynski

  Or is it cities? Or both? Or neither? Or all three?
Is Cloud City a collection of individual paintings and sculptures? Or one whole work of art? There the answer is both.
Are they mimetic or abstract? There at least the answer is clearly paradoxically yes. And something more
  Luczynski is asking the viewer the ultimate question--which is what we see as "reality" or an abstraction of something else? Or something like Philip K Dick's multiple realities. And The Cloud City is not giving you the answer, it is asking you to find out for yourself. If you can. If anyone will ever can.
  The great philosophical poet of the Mexica, Netzahualcoyotl, suggested very carefully that perhaps, possibly, all the gods of his people were but masks worn by a single great something that not only we could not comprehend but we could never comprehend.
  Be that as it may or not, both Dick and Netzahualcoyotl communicated such thoughts in words, an art that could only suggest them to the reader, but the art of Luczynski is visual, an art that speaks directly to the sensorium, and hence to the consciousness.
  Luczynski has been known for using complex visual and oral technology to turn "real" cities and places into other non-mimetic visual and non-mimetic oral abstractions of themselves. Hence both mimetic sights and sounds and abstractions of themselves.
  But the CloudCity is something different. One by one as you proceed through the exhibition you see abstract pictures of various cities. But these pictures of "real" cities are combinations of both mimesis and abstraction. Luczynski may not be the first visual artist to create such things, but he does something more that is uncynically not merely visually mind-bending but conscience-bending.
  Each picture is seen not as only including multiple mimetic and abstract styles but from different angles and heights together and apart. Thus, among other things, it makes you wonder, or indeed, may even convince you that nothing is real.
 To suggest a simple version of such complexity, I once wrote and sung a song called ONLY CHAOS IS REAl, the chorus being:
 
"Matter is illusion
 Energy is illusion
 We are illusion
 Only Chaos is real"

   On the other hand, "CloudCity" can be taken to mean A Cloud City, The ClouCity, or Cloud Cities in general, and indeed all three. In a novel I wrote, on an imaginary planet that made it possible, people lived entirely atop the canopy of a huge jungle, and more reasonaly, a story in which there were people living atop a canopy at the rooftops of apartment houses in New York.
And indeed hundred floor apartment houses are actually being built atop Manhattan and even a high  stairway alone that goes up to nowhere, not yet a stairway to heaven, but on the way.
   In a way, and probably intentionally, taken as both individual pictures, and as the total display, the Cloud City of Milosh Luczynski can be experienced as a series of urban canopies above the sky clouds of nature or as the Canopy reality we are building, or at least trying to build, above the natural reality of the Earth, as we reach for our imaginary future among the stars.
  And perhaps reminding us that homo sapiens did evolve from monkeys living in jungle canopys looking up at the clouds and dreaming to rise above them like the birds in the skies.
 
  END
 
       Norman Spinrad

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 CloudCity _ La Ville dans les Nuages.

   Ou est-ce les villes ? Ou les deux ? Aucunes des deux ? Ou les trois à la fois ? CloudCity est-elle une collection d’images et de sculptures individuelles ? Ou une seule et même oeuvre d’art ?
 Ici, la réponse est les deux. Sont-elles mimétiques ou abstraites ? Là, au moins, la réponse est clairement et paradoxalement, oui. Et plus que cela.
  Luczynski pose la question ultime au spectateur. Ce que nous voyons, est-ce la « réalité » ou l’abstraction d’autre chose? À la manière des réalités multiples de Philip K. Dick. Et CloudCity ne vous apporte pas de réponse, elle vous demande de le découvrir par vous-même.
 Si vous en êtes capable. Si quelqu’un, un jour, en sera capable. Le grand poète philosophe des Mexica, Netzahualcoyotl, a suggéré très prudemment que peut-être, éventuellement, les dieux de son peuple n'étaient que des masques portés par un seul et grand tout, que non seulement nous ne pouvions pas comprendre, mais que nous ne pourrions jamais comprendre.
  Quoi qu'il en soit, Dick comme Netzahualcoyotl ont tous deux communiqué ces pensées au travers de mots, un art qui n’est que suggestion. Mais l'art de Luczynski est visuel, il s'adresse directement au sensorium, et donc à la conscience.
   Luczynski est connu pour son utilisation de technologies visuelles et auditives complexes, au moyen desquelles il transforme villes et lieux « réels » en abstractions d’eux-même, en images non-mimétiques, en sons nonmimétiques. D'où ces paysages et ces sonorités, à la fois imitations et allégories.
   
Mais CloudCity est autre chose. Au fur et à mesure que vous avancez dans l'exposition, vous découvrez ces images abstraites de différentes villes. Des représentations de cités « réelles », qui sont à la fois mimesis et chimères. Et si Luczynski n'est pas le premier artiste à créer ainsi, il va plus loin ; sans cynisme, il nous distord l’esprit, si ce n’est la conscience.
 Chaque oeuvre est vue non seulement comme incluant de multiples styles mimétiques et abstraits, mais aussi sous différents angles et hauteurs, à la fois ensemble et séparément. Ainsi, entre autres choses, elle vous amène à vous demander, et peut-être même vous convainc, que plus rien n'est réel.
  Pour suggérer une version simple d’une telle complexité, j'ai un jour écrit et interprété une chanson intitulée ONLY CHAOS IS REAL (1), dont le refrain était :
 
« La matière est illusion
 L'énergie est illusion
 Nous sommes illusion
 Seul le Chaos est réel »
 
  Par ailleurs, le terme « ville dans les nuages » peut désigner une ville dans les nuages, la ville dans les nuages ou les villes dans les nuages en général, ou l’ensemble de ces trois propositions. Dans un de mes romans, sur une planète imaginaire qui le permettait, les gens vivaient perchés sur la canopée d'une immense forêt tropicale ; plus rationnellement, une histoire où des gens vivaient au sommet d’une jungle, sur les toits des immeubles new-yorkais. Et en effet, des immeubles d'habitation de cent étages sont aujourd’hui en construction au dessus de Manhattan, ainsi qu’un grand escalier solitaire qui ne
mène nulle part. Pas encore un Stairway to Heaven (2), mais en route pour le paradis.
   D'une certaine manière, et probablement avec intention, CloudCity de Milosh Luczynski, en tant qu’images individuelles et dans sa globalité, peut être vécue comme une série de canopées urbaines au-dessus de nuages naturels. Ou comme la réalité de Canopée que nous nous fabriquons, ou du moins que nous
essayons de construire au-dessus de la réalité naturelle de la Terre. Alors même que nous aspirons à notre avenir imaginaire parmi les étoiles.
   Et peut-être nous rappelle-t-elle que l'Homo sapiens a évolué depuis des singes qui vivaient dans la canopée des jungles, observaient les nuages et rêvaient de s'élever par-delà, comme les oiseaux dans les cieux.
 
   FIN

   Texte de Norman Spinrad
   Traduction: Ira Benfatto

1- Chanson et titre de l’album Only Chaos is Real (2001) du groupe Heldon,
 composés par Richard Pinhas.
2- Stairway to Heaven (1971), « escalier vers le paradis », chanson célèbre du
 groupe Led Zeppelin.

CloudCity special audio mix dj Patrick Vidal & Steve Jones


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