… centré sur la figure du philosophe Emmanuel Levinas. Fondée sur Autrui, sa pensée suggère la volonté de prendre soin, d’être attentif·ve et responsable pour les autres. Elle s’apparente à une personne qui fait le bien sans rien demander en retour. Une personne qui ne se veut ni héroïque ni altruiste, mais qui priorise, toujours, l’autre avant le soi.
Partant de fragments de textes, d’images, de sons et d’extraits d’interview, trois comédien·nes traduisent les mots de Levinas dans notre quotidien pour imaginer un monde moins bardé de certitudes. Un monde plus ouvert et sans masque.
21/22/23. 04. 2022 – Dans le cadre d’Esch2022, Capitale européenne de la culture.
Mise en scène – Isabelle Adelus & Suran
Dramaturgie et texte – Vincent Adelus
Scénographie et costumes – Isabelle Adelus & Suran
Création et dispositif vidéo – Milosh Luczynski
Avec: Viktoras Bachmetjevas, Jean-Louis Coulloc’h, Sylvie Jobert
Musique – Rafal Mazur
Coproduction- Escher Theater ; Kaunas National Drama Theatre, Lituanie ; Capitale européenne de la culture Esch2022.
« Sensoriel et philosophique » (Par Stéphane Gilbart)
Au Théâtre d’Esch, avec « Visage/Veidas », Vincent Adelus et Isabelle Adelus & Suran embarquent les spectateurs dans une immersion sensorielle inventive et magnifiquement maîtrisée qui se révèle être une excellente voie d’accès à une pensée philosophique bouleversante, celle d’Emmanuel Levinas.Dans l’intimité de l’arrière-scène du Théâtre d’Esch, le spectateur est immédiatement immergé dans un univers sensoriel : jeux de lumières qui découpent l’espace et le modifient sans cesse, géométries en mouvement, immense miroir descendant des cintres et aux multiples reflets, dont ceux des spectateurs ainsi impliqués dans ce qui se joue et se dit, silhouettes projetées traversant les lieux (Milosh Luczynski), éclats sonores et musiques (Rafal Mazur). Une immersion dans un ailleurs sensible qui va se révéler conception dramaturgique absolument bienvenue, et de surcroît magistralement concrétisée, pour donner accès à une pensée exigeante, celle d’Emmanuel Levinas, un philosophe d’origine lituanienne, mais installé en France et qui a écrit son œuvre en français. Ainsi « déstabilisé », et un peu perplexe au départ, le spectateur se retrouve idéalement « installé » pour que pénètrent et résonnent en lui les points de vue complexes du penseur. Des points de vue dont nous ne percevrons évidemment que la face visible de l’iceberg, mais qui, ainsi « mis en scène », nous offrent des éléments bienvenus de réflexion et de retour à nous-mêmes, dans ce que nous vivons et ressentons, dans ce qui se vit dans notre monde et nos sociétés.Ainsi le concept essentiel de « Visage », cette réalité qui, indépendamment de toute particularité distinctive, fonde immédiatement notre rapport à Autrui, notre humanité. Ainsi cette référence à une phrase de Dostoïevski : « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres », absolument capitale dans la conception de nos relations intersubjectives, dans la confrontation à notre « responsabilité ». Ainsi de si beaux développements sur l’amour à partir de considérations sur ce qu’est une caresse. Une autre réussite des concepteurs du projet est d’offrir au public des temps de concrétisation de ce qui s’énonce parfois si vertigineusement. Ainsi une séquence de ce « travail à la table » qui inaugure toute mise en scène, une respiration souriante bienvenue dans la représentation, quoique nous confrontant notamment aux périlleuses difficultés de la traduction d’un philosophe. Ainsi la fameuse histoire du chien Bobby offrant sa présence affectueuse à des prisonniers d’un camp, ne voyant en eux que leurs « visages » et non leur statut. Ainsi cette évocation du Vice-Consul japonais à Kaunas, alors capitale de la Lituanie, qui, au début de la seconde guerre mondiale, mit en pratique en quelque sorte les théories de Levinas, reconnaissant « l’humain » des Juifs pourchassés en leur « Visage » au-delà de leurs particularités, assumant sa responsabilité, quoi qu’il dût lui en coûter et sans attente d’une quelconque réciprocité. La réussite de cette proposition originale est incontestablement liée également à la qualité, à la précision, à la diversité et à l’engagement du jeu de ses interprètes : Viktoras Bachmetjevas, Jean-Louis Coulloc’h et Sylvie Jobert.Cette production, qui établit un pont entre les deux « Villes de la Culture 2022 », Esch et Kaunas, est bien sûr le résultat d’un magnifique travail préparatoire au long cours, essentiel pour réussir une alchimie étonnante, celle de la théâtralisation accomplie d’une pensée aussi ardue que décisive.